Le « ventre porte-bonheur » est un accessoire assez elabore qui ressemble a une grande poche a attacher sur l’abdomen que l’on remplit d’un rembourrage de mousse de plus en plus epais a mesure que les semaines passent. Si on le porte sous des vetements amples, on a tout a fait l’allure d’une femme enceinte. Grace a quoi, les collegues d’Oxana Zvereva (les noms de certaines personnes evoquees dans ce reportage ont ete changes a leur demande) ne soupconnent pas une seconde qu’il s’agit d’un artifice. Elle a recupere ce « ventre » aupres d’une autre femme qui avait souhaite faire croire a une grossesse et il parait qu’il aurait ete confectionne voici une dizaine d’annees par une costumiere retraitee de la Taganka (celebre theatre de Moscou).
Oxana simule en ce moment une grossesse de vingt-cinq semaines. De fait, elle attend bien un enfant : un de ses ovocytes a ete feconde et implante dans l’uterus d’une mere porteuse. « Ce faux ventre est une sorte de talisman, assure-t-elle. Je suis la septieme qu’il aide a etre enceinte ». Nous discutons toutes beaucoup sur Internet, et lorsque, je l’ai eu, j’ai tout de suite su que tout ira bien. Oxana occupe un poste a responsabilite dans une tres grande entreprise commerciale. Il lui arrive de passer a la tele. Elle vient d’avoir 33 ans, et tente d’avoir un enfant depuis qu’elle en a 20. Elle a ainsi connu a peu pres tous les drames possibles, mort du f?tus in utero, fausses couches a repetition, avortement therapeutique a un stade avance de la grossesse, et plusieurs fecondations in vitro qui ont echoue. Il y a six mois, apres dix ans de tentatives infructueuses qui lui ont coute quatre millions de roubles [100 000 euros, une vraie fortune dans le contexte russe], elle a enfin pu decouvrir lors d’une echographie une ombre qui battait en rythme sur l’ecran. « C’est son c?ur que vous voyez la. C’est votre bebe », lui a confirme le medecin.
L’equipe medicale m’a felicitee, et j’ai eclate en sanglots, se souvient Oxana. La mere porteuse aussi s’est mise a pleurer, mais discretement, blessee qu’on la traite en simple incubateur. Alors, la radiologue lui a explique avec beaucoup de pedagogie que l’enfant qu’elle portait lui etait seulement confie pour un temps, et que cette grossesse representait une enorme responsabilite, mais n’etait qu’un travail provisoire, tres bien paye d’ailleurs ?
La mere porteuse va toucher 500 000 roubles [12 500 euros]. Si on divise cette somme par neuf, cela fait plus de 55 500 roubles par mois, auxquels il faut en ajouter 15 000 qu’Oxana lui verse pour ses besoins quotidiens [soit un total de 1 760 euros par mois, a peu pres le triple du salaire moyen]. Aujourd’hui, les meres porteuses russes interessent non seulement les familles pour lesquelles elles constituent la seule chance d’avoir un enfant qui soit biologiquement le leur ; [selon l’Academie russe des -sciences medicales, environ six millions de femmes et quatre millions d’hommes souffrent d’infertilite dans le pays], mais aussi des femmes qui ne souhaitent pas abimer leur corps en vivant une grossesse et un accouchement, ou qui sont trop prises par leur travail pour s’en absenter plusieurs mois. Il y a aussi des parents qui ont perdu un fils, et qui veulent malgre tous des petits-enfants, ainsi que des « touristes de la procreation », des etrangers dont les pays interdisent le recours a des meres porteuses, voire des hommes qui veulent un enfant mais pas de femme. En Russie, la fonction de mere porteuse est legale, ou plus exactement n’est pas illegale, puisque les textes precisent que toute femme majeure en age de procreer a le droit de recourir a une fecondation artificielle et a l’implantation d’un embryon. Konstantin Svitnev dirige Rosjurconsulting, le plus important cabinet russe specialise dans le droit de la famille et la gestation pour autrui. Il reclame sur le sujet « une legislation detaillee », car, explique-t-il, il arrive que les parents biologiques divorcent pendant la grossesse et refusent de recuperer l’enfant une fois qu’il est ne, l’abandonnant a son sort ainsi que la mere porteuse ; ou qu’ils disparaissent dans la nature en apprenant que l’enfant a naitre est porteur d’une pathologie. Il arrive aussi que la grossesse de la mere porteuse se passe mal et affecte sa sante, voire la rende sterile. On a meme vu des cas d’escroquerie ou des intermediaires proposaient, en fait de meres porteuses, des femmes deja enceintes qu’ils avaient dissuadees d’avorter.
Par ailleurs, la legislation actuelle considere que l’enfant appartient a la mere qui l’a mis au monde. Elle doit donc signer immediatement un document par lequel elle renonce a ses droits et accepte que des tierces personnes deviennent officiellement les parents du bebe. « Voila quinze ans que des specialistes se battent pour faire voter une loi qui changerait cet etat de fait, car vous imaginez le champ que cela laisse a toutes sortes de chantages et de pressions », precise M. Svitnev.
Parfois, outre une mere porteuse, un don d’ovocytes est necessaire. Les cliniques specialisees dans la fecondation in vitro disposent de fichiers de donneuses, mais les futurs parents preferent souvent ignorer les manieres « civilisees » et se debrouiller seuls, grace a Internet, qui regorge de sites specialises, ou l’on peut lire des annonces telles que : « Donne ovocytes. Prix :60 000 roubles. Moi :1, 65 m, mince, yeux gris, cheveux blond fonce. Peut envoyer ma photo et celle de mes enfants. »
«Il ne nous a pas fallu beaucoup de temps pour trouver une donneuse d’ovocytes», explique Nadejda Potapova, de Moscou. J’ai note les numeros de telephone des femmes de moins de 25 ans (l’age est tres important pour la qualite), avant d’en choisir deux d’apres photo. C’etaient celles qui, physiquement, etaient le plus proche de mon mari et moi. Nous avons pris des ovocytes chez les deux pour ne pas savoir de qui serait finalement l’enfant. Je suis tres reconnaissante a ces deux femmes, mais je ne voudrais en aucun cas les revoir un jour.
C’est apres que le plus dur a commence, quand il a fallu trouver une mere porteuse. Pour plus de surete, Nadejda a tenu a la proximite geographique. Il fallait donc une femme vivante a Moscou ou en peripherie. En moyenne, avant de trouver la bonne personne, les parents biologiques rencontrent cinq de dix candidates. La mere porteuse doit etre prete a ce que, pendant neuf mois, sa vie entiere appartienne a d’autres.
Olga Botchenkova a entendu ce terme pour la premiere fois, il y a deja longtemps, lorsque la tele avait diffuse des reportages sur la chanteuse Aliona Apina, qui avait eu recours a une mere porteuse pour avoir sa fille, « il y a une dizaine d’annees ». En fevrier 2009, Olga a etes licencie de l’entreprise ou elle travaillait comme comptable. Mere celibataire, elle a une fillette de six ans. Elle voudrait avoir sa chambre, des animaux de compagnie et des plantes vertes, mais pour l’instant nous vivons avec ma mere dans une seule petite piece, une sorte de baraquement. A 27 ans, Olga est donc la candidate ideale. En bonne sante, resistante, deja maman, elle vit en province, pres d’Orenbourg a plus de 1 200 kilometres au sud de Moscou, et a grand besoin d’ameliorer sa situation materielle.